« Hugues Viane se disposa à sortir, comme il en avait l'habitude quotidienne à la fin des après-midi. Inoccupé, solitaire, il passait toute la journée dans sa chambre, une vaste pièce au premier étage, dont les fenêtres donnaient sur le quai du Rosaire, au long duquel s'alignait sa maison, mirée dans l'eau. Il lisait peu : des revues, de vieux livres ;
Fumait beaucoup ; rêvassait à la croisée ouverte par les temps gris, perdu dans ses souvenirs. Voilà cinq ans qu'il vivait ainsi, depuis qu'il était venu se fixer à Bruges, au lendemain de la mort de sa femme.
Cinq ans déjà ! Et il se répétait à lui-même : 'Veuf ! Être veuf ! Je suis le veuf !' Mot irrémédiable et bref ! (...) Pour lui, la séparation avait été terrible : il avait connu l'amour dans le luxe, les loisirs, le voyage, les pays neufs renouvelant l'idylle. Non seulement le délice paisible d'une vie conjugale exemplaire, mais la passion intacte, la fièvre continuée, le baiser à peine assagi, l'accord des âmes, distantes et jointes pourtant, comme les quais parallèles d'un canal qui mêle leurs deux reflets. Dix ans de ce bonheur, à peine senties, tant elles avaient passé vite ! Puis, la jeune femme était morte, au seuil de la trentaine... » Veuf, Hugues Viane s'est exilé à Bruges et parcourt tous les jours, inconsolé, les rues de la ville aux mille canaux. Ses marches mélancoliques conduiront l'esseulé à rencontrer une femme ressemblant étrangement à celle qu'il a perdue.